Prix européen de l'Essai 2018 : Marcel Gauchet
Marcel Gauchet. Photo © Alain Herzog
Le 40ème Prix européen de l’essai Charles Veillon est attribué à Marcel Gauchet pour l’ensemble de son œuvre, à l’occasion de la sortie de son livre
Le Nouveau Monde, Gallimard, Paris, 2017, dernier volet d’une tétralogie consacrée à l’avènement de la démocratie.
Marcel Gauchet est historien et philosophe, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et rédacteur en chef de la revue Le Débat qu’il a fondée en 1980 avec Pierre Nora. Grande figure du paysage intellectuel européen de ces 40 dernières années, auteur d’essais classiques comme Le Désenchantement du monde (Gallimard, 1985), il a placé la démocratie et le rapport à la religion et à l’éducation au cœur de ses travaux.
La cérémonie de remise du prix a eu lieu le mardi 13 mars 2018, au Lausanne Palace.
En collaboration avec
Interview
Marcel Gauchet, en conversation avec Stéphanie Cudré-Mauroux
Lausanne, le 13 mars 2018. Video 10 min.
Allocutions et laudatio
Introduction Cyril Veillon |
Discours de proclamation Frédéric Sardet Chef du Service des Bibliothèques et Archives de la Ville de Lausanne |
Motivations du Jury Michaël Wirth Membre du jury |
Laudatio Dr. Philippe Raynaud Université Paris-II |
Remise du Prix | Conférence Marcel Gauchet + Texte de la conférence |
Audio / Presse
« Emmanuel Macron est un populiste », estime le philosophe et historien Marcel Gauchet, dans l'émission Tout un monde sur la RTS - La 1ère (14 mars 2018)
« Il faut réveiller les Européens ! », Marcel Gauchet parle sans pessimisme mais avec un recul historique qui le conduit à vouloir sortir les Européens d’un sommeil « suicidaire ». Rencontre à l’UNIL (16 mars 2018, Nadine Richon)
Rencontre avec Marcel Gauchet, Université de Lausanne
Captation vidéo de la rencontre avec Marcel Gauchet. Mercredi 14 mars 2018 - UNIL Lausanne
Avec la participation de
• Marcel Gauchet
• Prof. Francesco Panese, Université de Lausanne (UNIL), ISS, STSlab
• Prof. Dominique Bourg, Université de Lausanne (UNIL), IGD/FGSE
• Prof. Jacques Gasser, Université de Lausanne (UNIL), DP/CHUV
Photos de la cérémonie
Crédit photos: © Alain Herzog (2018)
Marcel Gauchet
Au début de sa carrière, Marcel Gauchet se lie d’amitié à Claude Lefort, l’un des fondateurs du mouvement Socialisme ou barbarie qui, dans les années 70, se réclame du marxisme tout en dénonçant la pensée « totalitaire ». A partir de 1968, il rompt avec le marxisme et s'efforce de formuler une théorie de l'histoire « alternative ». Il se rapproche de Pierre Clastres (auteur de La société contre l’Etat, 1974); et de Gladys Swain (psychiatre) avec qui il écrira plusieurs livres sur la folie liée à la modernité (La pratique de l’esprit humain, L’institution asilaire et la révolution démocratique, 1980). En 1980, il publie un article fameux : « Les droits de l’homme ne sont pas une politique ». En 1989, il entre au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron, bastion de la pensée libérale aujourd’hui en France.
Depuis plus de dix ans, Marcel Gauchet se consacre à une gigantesque histoire philosophique du monde contemporain qui explore le destin de la démocratie en Europe, dernier niveau de l’organisation de notre société. Dans le quatrième volume intitulé Le Nouveau Monde (Gallimard, 2017), il observe le triomphe, à une échelle jamais vue, du principe démocratique. Cette formidable avancée des moyens de l'autonomie humaine donne, à l'arrivée, une société qui échappe à ses membres. Marcel Gauchet relève un antagonisme entre le projet religieux traditionnel qui est de normer l’existence collective par le haut et le fonctionnement démocratique qui est la possibilité pour tout le monde de discuter des règles collectives. Mais une chose est de disposer des instruments qui permettent de maîtriser son destin, une autre est de savoir s’en servir. L’histoire de la libération est derrière nous; l’histoire de la liberté commence.
Extrait
« L’autonomie était pensée comme la solution; elle se révèle le problème : ainsi se résume la surprise que nous attendait au terme du périple moderne – la première surprise étant qu'elle n'est pas un terme et qu'elle ne saurait en être un. Nous y sommes, elle est en place pour de bon, et elle ne ressemble à rien de ce qui avait pu être imaginé.
Voilà dix siècles que sa perspective s’était obscurément dessinée, à la faveur de l’énigmatique bifurcation qui a engagé l’Europe, aux alentours de l’an mil, dans une voie jamais explorée ; voilà cinq siècles que ses expressions directes avaient commencé à poindre et à se concrétiser, deux siècles quelle était devenue un programme explicite et que de prodigieuses énergies militantes s’étaient mobilisées à son service.
(…)
Le pouvoir ne représente plus rien d'autre que ce que nous y logions, et nul n’aurait l’idée de rattacher ses actes d’autorité à une inexplicable inspiration supérieure. La société n’apparait plus que sous le jour des membres individuels qui la composent et des liens qui se tissent entre eux, sans plus de forces transcendantes pour les tenir ensemble et les promettre à une communion mystique. C'en est fini, semblablement, de l’impression d’être entraîné par un devenir irrésistible vers une destination providentielle. L’histoire ne comporte plus ni direction intrinsèque à déchiffrer ni but idéal auquel se dévouer. Elle se réduit à la somme des actions et interactions humaines. Ce désenchantement radical de l’ordonnance collective et de son mouvement aurait dû en faire un domaine sinon simple à comprendre et à conduire, du moins mieux intelligible et mieux gouvernable. Or son fonctionnement est plus opaque que jamais, et sa marche, non contente d’échapper au pilotage, s’enfonce dans ce qui apparaît avec une clarté grandissante comme une impasse suicidaire. Comment expliquer pareille contradiction ou pareil dévoiement ? »
Extrait de l’Avènement de la démocratie IV, Le nouveau monde par Marcel Gauchet, Gallimard, 2017, pp 635-636